Le fils de Sam Green
Dans Le Fils de Sam Green, Sibylle Grimbert nous invite dans l'intimité d'une famille. Un fils vient de perdre foi en son père. Et alors que sa croyance s'écroule, il doit affronter une question létale : a-t-il été une victime, parmi d'autres, d'un égoïste, ou a-t-il été, par égoïsme, le complice d'un bourreau ? Voici un thème classique, puissant, où l'auteur déploie son talent pour la capture d'instants fugaces, l'entrelacement signifiant des non-dits, et la maîtrise du drame familial. Mais ce Sam Green n'est autre que Bernard Madoff, et Sibylle Grimbert, une puissante vigie. L'affaire Madoff est inexplicable dans une perspective rationnelle : elle reposait sur une arnaque si grossière qu'en toute logique ses victimes - dont le point commun était d'être bien informées des us et pratiques de ce milieu de la finance - ne pouvaient pas tomber dedans. Mais voilà, les pigeons avaient foi en leur bourreau et en un monde de privilèges et de toute-puissance dont ils n'auraient jamais osé formuler qu'ils le rêvaient magique, avant qu'il ne se transforme en malédiction planétaire. Le Fils de Sam Green est bâti sur un axiome shakespearien bien connu : « Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n'y sont que des acteurs. » Il possède d'ailleurs des accents « leariens » indéniables. C'est un roman aussi tranchant que vital parce qu'en nous rendant familier un drame que l'on préfère imaginer opaque et étranger, l'auteur nous pousse la scène de la plus grande tragédie de notre temps. Par la force amère et la triste élégance de sa démonstration, la complainte du Fils de Sam Green nous interdit de nous prétendre pantins et nous laisse acteurs, c'est-à-dire libres de croire ou pas, d'agir ou pas, d'être ou de passer.